Pourquoi actualiser son schéma directeur en cours de déploiement ?

Élaboré pour une durée généralement comprise entre trois et cinq ans, le schéma directeur (qu’il concerne le numérique, le système d’information, l’aménagement du territoire, etc.) doit encadrer l’action publique sur la durée. Dans les faits, peu d’organismes publics ou collectivités peuvent se permettre d’attendre la prochaine échéance pour intégrer une nouvelle exigence de cybersécurité, adapter leurs ambitions environnementales ou saisir une législation inédite.

Selon une étude menée par le CNFPT en 2022, près de 63 % des collectivités françaises ayant adopté un schéma directeur numérique estiment l’avoir réorienté au moins une fois dans sa période de validité. Les principales raisons citées :

  • L’évolution des usages (accélération du télétravail, place du smartphone dans l’accès aux services, transition numérique des citoyens fragiles)
  • Les obligations réglementaires nouvelles (RGPD, accessibilité numérique, obligations Cloud, etc.)
  • L’apparition de nouveaux risques ou menaces (hausse des cyberattaques contre les mairies, redéfinitions des chaînes de traitement des données)
  • Des opportunités de financement extérieures (Plan France Relance, DSIL, financements européens…)

Retarder cette actualisation risque, in fine, de transformer le schéma directeur en document obsolète ou inadapté, déconnecté du terrain.

Diagnostiquer la pertinence de l’actualisation

Identifier les signaux d’alerte

  • Des projets qui dévient systématiquement des trajectoires fixées
  • Une impossibilité à répondre à une nouvelle exigence réglementaire dans le calendrier initial
  • Des agents ou partenaires qui “fabriquent” des solutions hors cadre (shadow IT, digitalisation sauvage de certains processus)
  • Un taux d’adhésion ou d’usages faible sur les services numériques mis en place (exemple : plateforme citoyenne peu consultée, espace usager délaissé)

Mettre en place une veille intégrée

L’actualisation efficace dépend de la capacité de la collectivité à capter les tendances : légales, technologiques, mais aussi sociales et métiers. Cette veille doit être organisée, institutionnalisée (groupes de travail internes, participations à des réseaux comme l’ADULLACT, France Num, FNCCR), et surtout partagée — une veille “silo” atteint vite ses limites.

Évaluer l’impact du changement : arbitrer sans replanifier intégralement

Un schéma directeur, s’il doit être un document vivant, ne doit pas devenir un “work in progress” permanent, fluctuant au gré de chaque nouveauté. D’où la nécessité d’arbitrer à bon escient. Quelques étapes clefs :

  • Cartographier les impacts du changement envisagé : S’agit-il d’un ajustement mineur ou d’un pivot majeur ? Engage-t-il des coûts, des équipes, une réorganisation profonde ?
  • Analyser le degré d’irréversibilité : Certaines décisions (changement d’architecture SI, choix cloud souverain, externalisation) engagent la collectivité pour 10 ans ou plus.
  • Prioriser : Selon la logique “valeur ajoutée / efforts nécessaires / risques encourus”. Faut-il adapter la trajectoire sur un service, un lot, un axe, ou reconfigurer tout le schéma ?

L’utilisation de matrices d’impacts ou d’outils de gestion de portefeuille projets (type Sciforma, Project Portfolio Management) facilite cette analyse.

Méthodes et outils pour actualiser : du patch correctif à la réécriture partielle

Les différentes modalités d’actualisation

Typologie d’actualisation Quand l’utiliser ? Exemple concret
Mise à jour ponctuelle Changement limité, alignement réglementaire ou technique Intégration des exigences RGPD pour un service numérique
Révision partielle Réorientation d’un axe stratégique, ou adaptation d’un programme Ajout d’un axe “données ouvertes” non prévu dans la première édition
Réécriture stratégique Changement profond des usages, relance de trajectoire Passage d’un SI en silo à une architecture de micro-services

Prendre appui sur les retours terrain

Un outil clé : les retours d’expériences terrain, issus du dialogue avec les agents, les usagers, les élu·es. Instaurer une revue trimestrielle, voire semestrielle, pour recueillir points de blocages, innovations non prévues, ou besoins émergents, permet d’alimenter efficacement le processus d’actualisation.

Certaines collectivités pionnières (ex : Métropole de Lyon avec son “Atelier numérique”) pratiquent la co-construction continue du schéma, en animant des ateliers ouverts qui permettent de collecter, partager, et surtout arbitrer collectivement les adaptations en phase de mise en œuvre.

Gouvernance du processus d’actualisation : impliquer pour légitimer

L’un des écueils majeurs de l’actualisation : en faire un processus descendant, ignoré de la diversité des acteurs engagés au quotidien. Pourtant, la réussite tient autant à la transparence des décisions qu’à l’adhésion.

  1. Élargir le comité de suivi : Y intégrer agents métiers, services SI, référents “usagers”, voire partenaires tiers.
  2. Rendre visibles les arbitrages : Publier les grandes orientations et les motifs d’actualisation (ex : par newsletter, rapport, séminaire interne).
  3. Assurer la traçabilité des versions : Un schéma directeur doit fonctionner comme un produit numérique : toute modification majeure devrait être horodatée, documentée, consultable. Beaucoup de collectivités passent aujourd’hui par des outils collaboratifs (Nextcloud, Sharepoint).
  4. Mesurer et communiquer : Documenter non seulement l’actualisation mais ses résultats (ex : taux d’utilisation d’un service ajusté, économies réalisées, réduction des risques, etc.).

Exemple : la Région Bretagne a intégré dans ses schémas directeurs un pilotage “en cycle court”, avec points d’étape systématiques tous les six mois, impliquant l’ensemble des directions concernées, et une communication inter-élus sur les motivations des évolutions. Cette méthode a permis une adaptation rapide pendant la crise sanitaire, accélérant certains services numériques pour l’éducation.

Surmonter les obstacles courants à l’actualisation

La tentation de la sur-ingénierie

Chercher à tout réinventer à chaque actualisation est un piège fréquent. Cela surcharge les équipes, engendre des retards, et finit par démobiliser. “Mieux vaut faire évoluer un axe à la fois que de refonder totalement chaque année” souligne un rapport du CEREMA sur les politiques publiques numériques.

La résistance à l’adaptation

Nombre d’agents estiment parfois que revoir le schéma directeur revient à reconnaître “l’échec” de la version initiale. Il est essentiel d’en faire une évolution maîtrisée et valorisée, non un aveu d’erreur. Travailler la communication interne, faire témoigner des utilisateurs gagnants de l’actualisation, ou partager des statistiques de progrès, s’avère souvent efficace.

L’inadéquation des outils de pilotage

Des tableaux de bord conçus pour un déroulé linéaire ne conviennent plus lorsque l’actualisation devient la règle. Les indicateurs doivent être révisés très régulièrement pour refléter l’état opérationnel réel (indicateurs d'usages, de satisfaction agent-usager, d’économies réalisées, etc.), à l’instar du “bilan annexe” imposé dans la plupart des schémas directeurs régionaux depuis les circulaires 2022 de la DGCL.

Vers une culture de l’ajustement maîtrisé

L’actualisation d’un schéma directeur, loin d’être un accident de parcours, doit devenir un marqueur de maturité numérique des territoires. Les collectivités les plus avancées adoptent une culture de l’itération : elles s’ouvrent à l’imprévu, testent à petite échelle, osent l’adaptation rapide. Ainsi, elles limitent le risque d’obsolescence, assurent la continuité opérationnelle… et, surtout, gardent la confiance de leurs usagers.

Entre le document “gravé dans le marbre” et la feuille blanche perpétuelle, l’actualisation réussie suppose un équilibre. Elle découle d’une veille organisée, d’une gouvernance ouverte, d’outils adaptés, et d’une culture interne qui valorise le retour d’expérience et l’amélioration continue.

Pour approfondir :

  • Etude CNFPT 2022 sur les usages du schéma directeur numérique : cnfpt.fr
  • Ateliers et ressources de l’Adullact sur la gouvernance numérique territoriale : adullact.org
  • Guide “L’évaluation de la stratégie territoriale du numérique” – Fnau (2023)
  • Retours d’expérience “Schéma Directeur et collectivités” – FNCCR (2022)
CNFPT, “Panorama des schémas directeurs numériques”, 2022.Métropole de Lyon, Ateliers numériques : méthodes et retours, 2023.Région Bretagne, Rapport sur la transformation numérique, juillet 2021.CEREMA, Note “Politiques publiques et schémas directeurs numériques locaux”, 2023.

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