De la technique à l’écosystème : comprendre la genèse des schémas directeurs

Pour décrypter la différence entre schéma directeur SI et schéma directeur numérique, il faut d’abord revenir sur l’histoire de ces dispositifs, leur ancrage dans la modernisation publique, et leur évolution face à de nouveaux enjeux sociétaux et technologiques.

L’origine : le schéma directeur SI, pilier de la rationalisation informatique

Les premiers schémas directeurs SI (pour « système d’information ») apparaissent dans les administrations françaises au début des années 1990, au moment où l’informatique se généralise dans les collectivités et où la nécessité d’articuler les achats, les infrastructures et la gestion des données commence à s’imposer. Leur but ? Mettre de l’ordre et dégager une vision partagée pour répondre à plusieurs défis récurrents :

  • Lutter contre la fragmentation des applications et l’enchevêtrement des serveurs et réseaux.
  • Sécuriser les systèmes et garantir la continuité de service.
  • Optimiser les investissements matériels et logiciels.
  • Structurer la gouvernance de la donnée et du patrimoine numérique.

La méthodologie de conduite d’un schéma directeur SI est largement inspirée par les grandes entreprises : audit de l’existant, analyse des besoins métiers, cartographie applicative et technique, feuille de route pluriannuelle… On retrouve encore aujourd’hui cette approche dans de nombreux schémas directeurs SI portés par des collectivités locales ou des structures publiques (voir la méthodologie CIGREF).

Le basculement : le schéma directeur numérique, reflet de la transversalité et de l’innovation

À partir des années 2010, le terme de « schéma directeur numérique » se diffuse, notamment sous l’impulsion de la dynamique portée par l’open data, les services en ligne, l’inclusion numérique et la ville intelligente. Cette nouvelle génération de schémas ne se limite plus à l’organisation des outils ou du stockage de données, mais intègre des enjeux plus larges, liés à l’innovation, à la transition écologique et à la transformation des usages publics.

Quelques marqueurs de cette évolution :

  • Intégration des politiques éducatives et scolaires (environnement numérique de travail, équipements…)
  • Pilotage de la relation usager à 360°, démarches en ligne, guichet unique numérique
  • Ouverture et circulation des données territoriales, open data, big data
  • Services numériques hors SI classique : objets connectés urbains, signalétique intelligente, démocratie participative en ligne…

Ainsi, le schéma directeur numérique s’inscrit dans une conception globale : il articule stratégie informatique et politiques publiques, en lien avec la vie des territoires et leurs transformations sociétales (cf. Ade Technologies ou les guides de la Mission Société Numérique).

La différence fondamentale : un périmètre élargi et une vision politique

La confusion entre schéma directeur SI et schéma directeur numérique vient souvent du fait qu’ils partagent des outils et des objectifs : rationaliser, coordonner, anticiper, dialoguer avec les métiers. Pourtant, leur différence ne tient pas seulement à une question de terminologie, mais à un changement d’approche profond que l’on peut résumer ainsi :

Schéma directeur SI : une approche technique et interne

  • Périmètre : L’organisation du système d’information de la collectivité, surtout interne (réseaux, serveurs, applications, cybersécurité, gestion des utilisateurs). Orienté sur le patrimoine numérique « back-office ».
  • Objectif : Assurer l’efficacité, la cohérence et la sécurité du SI pour les besoins internes et les agents.
  • Méthodologie : Diagnostic technique, priorisation des chantiers IT, planification des migrations ou évolutions, gestion du cycle de vie applicatif.

Schéma directeur numérique : une démarche globale et transformative

  • Périmètre : Tous les aspects du numérique dans la collectivité : SI interne mais aussi services aux usagers, inclusion, participation citoyenne, innovation, impact environnemental…
  • Objectif : Servir le projet politique du territoire à l’ère digitale : attractivité, inclusion, qualité de vie, sobriété numérique, autonomie des habitants, coopération avec l’écosystème local.
  • Méthodologie : Gouvernance pluridisciplinaire, concertation citoyenne, analyse d’impact, pilotage par la donnée, veille sur les innovations, partenariats publics-privés.
Schéma directeur SI Schéma directeur numérique
SI technique, infrastructure, applications internes Numérique au sens large (outils, services, inclusion, innovation, données, politique urbaine…)
Axé sur l’optimisation et la cohérence informatique Affine le projet politique, intègre l’usager, l’environnement, l’écosystème
Porté par la DSI ou l'administration Porté au niveau de la direction générale et des élus
Pilotage interne Pilotage transversal, gouvernance ouverte

Enjeux pour les territoires : quelle articulation entre SI et numérique ?

La question de la complémentarité (voire de la coexistence) de ces deux démarches n’est pas simplement théorique. Elle conditionne la réussite des collectivités face à la complexité croissante du numérique dans l’action publique, comme le démontrent de nombreux retours d’expérience.

Les chiffres-clés : un impact concret sur la transformation des administrations

  • En 2023, plus de 63% des collectivités de plus de 10 000 habitants déclarent avoir un schéma directeur numérique ou SI en cours ou finalisé (La Gazette des Communes, chiffres CDESI AMF/ADF).
  • Le taux d’équipement en guichets uniques numériques ou plateformes de services dépasse 80% dans les grandes villes mais chute à 41% dans les communes rurales (Observatoire Numérique Collectivités).
  • Quatre régions françaises sur cinq disposent d’un schéma directeur numérique régional, souvent aligné sur les stratégies open data et les programmes Green IT (Régions de France).
  • 58% des collectivités ayant un schéma directeur numérique font état d’avancées majeures sur la transversalité des services publics, contre seulement 30% pour celles dotées uniquement d’un schéma SI (La Gazette des Communes).

La pratique montre que la réussite ne passe plus uniquement par la gestion technique ou budgétaire du SI. L’alignement avec le projet d’administration, l’accompagnement au changement, le pilotage des usages et l’ancrage territorial du numérique sont des dimensions centrales – d’où l’essor des schémas directeurs numériques.

Des exemples emblématiques de schémas directeurs numériques dans les territoires

  • Ville d’Angers : Le schéma directeur numérique d’Angers Loire Métropole (2021-2026) intègre la transition écologique (objectif de réduction de 30% de la consommation énergétique liée au numérique), l’inclusion (montée en compétence de 10 000 habitants par an), et la gouvernance des données territoriales (création d’une plate-forme mutualisée). Source
  • Région Occitanie : Le schéma directeur régional du numérique englobe l’aménagement (fibre, 5G, wifi public), l’innovation éducative et la souveraineté des données, mais aussi des dispositifs d’inclusion et de soutien à la filière numérique locale. Près de 30% du budget régional consacré au numérique va à l’accompagnement et non à la seule technique. Source

Quels défis pour la gouvernance et la mise en œuvre ?

La montée en puissance du schéma directeur numérique ne signe pas l’obsolescence des démarches SI, mais implique une articulation fine entre les deux niveaux. Parmi les défis les plus fréquents :

  1. Pilotage coordonné : Trop de collectivités élaborent des projets SI en silo, sans chercher l’intégration stratégique avec les politiques publiques. La mise en place d’une gouvernance numérique transversale (comité de pilotage élargi, implication des élus, concertation usagers) devient un impératif.
  2. Prise en compte des usages : Les attentes des usagers évoluent rapidement : accès multicanal, interopérabilité, personnalisation… Un schéma directeur numéroque doit partir des usages, pas des seules infrastructures.
  3. Sobriété et éthique : Le numérique sollicite de plus en plus de ressources énergétiques et pose des questions de protection de la vie privée, de fracture numérique. L’articulation entre SI (technique) et numérique (sociétal) permet de construire des stratégies responsables.
  4. Compétences : La transversalité du numérique impose de nouvelles compétences dans les collectivités : conduite du changement, data, juridique, design de services… Former et structurer des équipes hybrides est un enjeu majeur.

Vers des stratégies numériques territoriales intégrées

La différenciation entre schéma directeur SI et schéma directeur numérique révèle la maturation du numérique dans la sphère publique. Là où le SI reste l’épine dorsale fonctionnelle indispensable à toute organisation, le numérique s’impose comme une politique de transformation globale, qui irrigue l’ensemble des services, des politiques et des projets du territoire.

Pour les collectivités, réussir cette mutation implique de dépasser la vision purement informatique, d’associer technologies et finalités publiques, de piloter avec une gouvernance ouverte et d’inclure les citoyens et les agents dans la démarche. Le schéma directeur numérique devient ainsi un catalyseur d’innovation territoriale, tout en s’appuyant sur un SI solide, évolutif et sécurisé. Un tandem incontournable pour les territoires en quête de sens, d’efficacité et d’attractivité à l’ère des transitions.

En savoir plus à ce sujet :

COPYRIGHT © lemagdesterritoiresnumeriques.com.