Mieux comprendre la diversité des financements européens pour le numérique territorial

Depuis une dizaine d’années, l’Union européenne consacre des enveloppes croissantes au développement du numérique à l’échelle locale. L’objectif est clair : garantir l’inclusion numérique, renforcer l’innovation dans les services publics, stimuler des économies plus résilientes et compétitives, accompagner la transition écologique. Pourtant, pour de nombreuses collectivités, l’accès à ces financements reste complexe. Les guichets se multiplient, les critères évoluent, et la temporalité communautaire n’est pas toujours en phase avec le rythme des projets locaux.

Pour les équipes municipales, intercommunales ou départementales, savoir s’y retrouver et constituer des dossiers solides permet non seulement d’accélérer la transformation numérique sur leur territoire, mais aussi de nouer des alliances inédites et de pérenniser des démarches souvent fragiles sans ces soutiens. Petit tour d’horizon des principales opportunités, avec des clés concrètes pour y accéder.

Panorama des principaux programmes européens : de l’innovation à la solidarité numérique

FEDER : La colonne vertébrale du financement numérique à l’échelle régionale

Le Fonds européen de développement régional (FEDER) reste depuis vingt ans la source la plus mobilisée par les territoires pour leurs projets d’infrastructures et de services numériques. De la couverture en fibre optique à la création de plateformes publiques d’accès à l’information, il intervient surtout sur :

  • L’aménagement numérique (déploiement du très haut débit, réduction des zones blanches).
  • La lutte contre la fracture numérique, par la mise en place d’espaces publics numériques, de formations ou d’action pour favoriser l’inclusion.
  • Le développement de plateformes numériques locales pour l’administration, la mobilité, l’emploi ou l’environnement.

À titre illustratif, sur la période 2014-2020, le FEDER a intégré une enveloppe de 23,6 milliards d’euros en France, dont près de 15 % fléchés vers les TIC et l’innovation (source : Ministère de la Cohésion des territoires, 2021). Même si la nouvelle programmation (2021-2027) met davantage l’accent sur l’écologie et l’emploi, le numérique reste transverse dans la plupart des appels à projets régionaux.

FSE+ : L’inclusion et les compétences au cœur du numérique

Le Fonds social européen plus (FSE+) accompagne la montée en compétences numériques et l’inclusion, s’adressant aussi bien :

  • Aux porteurs de projets visant la formation aux métiers du numérique (ateliers, FabLabs, médiation numérique, e-inclusion des personnes éloignées de l’emploi ou en situation de handicap).
  • Aux acteurs cherchant à réduire la fracture numérique, notamment dans les territoires ruraux et ultramarins.

Sur la période 2021-2027, le FSE+ s’élève à 88 milliards d’euros à l’échelle européenne, dont une part significative mobilisable localement pour des projets d’intérêt général (source : Commission européenne, 2022).

Le programme Europe numérique (Digital Europe) : accélérer le passage à l’échelle

Né avec la programmation 2021-2027, Europe numérique cible les usages avancés : cybersécurité, intelligence artificielle, cloud de confiance, compétences numériques de pointe. Ce programme s’adresse en priorité aux collectivités capables de s’inscrire dans des logiques de démonstrateurs, d’expérimentation ou de mutualisation à grande échelle.

  • Financement direct, hors guichet régional.
  • Focus sur les infrastructures critiques, les hubs d’innovation, les universités territoriales du numérique, etc.
  • Partenariats encouragés entre collectivités, PME innovantes, centres de recherche et réseaux européens.

En 2023, le guichet a atteint plus de 1,38 milliard d’euros de dotations (source : ec.europa.eu/info).

CEF – Connecting Europe Facility : la priorité aux infrastructures

Le mécanisme pour l’interconnexion en Europe (CEF) finance de grands projets de connectivité, notamment :

  • Le déploiement de réseaux très haut débit transfrontaliers.
  • La cybersécurité, la protection des données, l’identité numérique paneuropéenne (eIDAS).
  • L’innovation en mobilité, logistique et Smart Cities, notamment autour de la 5G ou des ITS (Intelligent Transport Systems).

Historiquement réservé aux infrastructures, le CEF évolue pour intégrer des « Digital Service Infrastructures » depuis 2018. Seuls les projets ayant un impact interrégional ou interopérable sont éligibles (source CINEA).

Horizon Europe : innover et expérimenter à l’échelle européenne

Pour les collectivités les plus innovantes, Horizon Europe est le principal guichet d’expérimentation, notamment à travers les « missions » d’innovation (villes intelligentes, neutralité carbone, santé numérique…). Le programme est ouvert aux partenariats multi-acteurs (collectivités, universités, PME, associations) et couvre des sujets tels que l’open data, la cybersécurité, l’e-gouvernement.

  • Dotation globale : 95,5 milliards d’euros pour 2021-2027 (source : Commission européenne).
  • Appels à projets thématiques, nécessitant le plus souvent des partenariats européens solides.
  • Exigence de restitution, partage open source ou open data des résultats.

Comment identifier et maximiser ses chances d’accéder aux financements européens ?

Bien décoder les critères d’éligibilité

L’accès aux fonds européens, notamment pour le numérique, suppose d’anticiper plusieurs éléments souvent sous-estimés :

  • Valeur ajoutée européenne : Montrer en quoi le projet crée de la valeur en dépassant l’échelle de la seule collectivité (réplicabilité, interopérabilité, partage des ressources…)
  • Impact mesurable : Chiffrer l’effet du projet sur l’inclusion numérique, la réduction des inégalités, le développement économique ou l’innovation publique.
  • Partenariats et mutualisation : Plus le projet fédère d’acteurs (collectivités, entreprises, associations, universités), plus il est solide face à la concurrence européenne.
  • Résultats ouverts : Des démarches favorisant l’open source, la reproductibilité ou la publication des résultats ont plus de chances de convaincre.

Construire un portefeuille de projets aligné sur la stratégie européenne

Il est rare qu’un seul projet local coche toutes les cases d’un financement européen. De plus en plus, les territoires doivent structurer une « feuille de route numérique », en phase avec :

  • Le pacte vert pour l’Europe (« Green Deal »), très intégré dans la programmation 2021-2027.
  • La Stratégie numérique européenne, articulée autour de la souveraineté des données, de l’IA éthique, et de l’accessibilité pour tous.
  • Les schémas régionaux, incontournables pour le FEDER, qui doivent intégrer la dimension transition numérique.

Exemple inspirant : la Région Bretagne, qui structure tous ses projets numériques avec une approche ouverte, réplicable et robuste, a réussi à doubler son taux de captation de fonds européens entre 2016 et 2022 (source : Région Bretagne, rapport 2022).

Penser l’accompagnement : ressources-clé et ingénierie de projet

Disposer d’ingénierie et de réseaux permet de décupler ses chances :

  • Europe Direct : Les points Europe Direct aident gratuitement les collectivités à cibler les dispositifs et à préparer leurs dossiers.
  • Départements & Régions : Beaucoup proposent des cellules Europe spécialisées dans la veille et l’accompagnement de projets numériques.
  • FranceUrbaine, AdCF… Ces associations publient régulièrement des appels à projets européens et des guides de synthèse adaptés au contexte territorial français.
  • Cabinets spécialisés : Pour les démarches complexes, les collectivités recourent parfois à des cabinets d’ingénierie possédant une expertise communautaire spécifique.

Selon un rapport de l’Association des Maires de France (AMF), plus de 60 % des petites communes n’ont jamais candidaté à un financement européen, souvent faute de ressources pour « monter des dossiers ». En parallèle, les collectivités dotées d’une équipe dédiée affichent un taux de succès supérieur à 40 % sur les appels à projets numériques (source : AMF, 2021).

Bonnes pratiques et erreurs fréquentes dans la demande de subvention européenne

Ce qui marche

  • Capitaliser sur ses référents : Participer à un consortium européen, même modeste, permet de s’appuyer sur l’expertise d’acteurs qui maîtrisent les codes communautaires.
  • Valoriser l’inclusion : Les projets orientés « usagers éloignés », accessibilité ou publics seniors reçoivent un accueil favorable (ex : dispositifs d’accompagnement dans les structures France Services financés via FSE+ et FEDER).
  • Mutualiser et documenter : Plus le projet est mutualisable et capitalise sur l’existant (logiciel libre, open data, bonnes pratiques), plus il est valorisé.

Ce qui bloque encore trop souvent

  • Dossiers trop centrés sur l’achat d’équipement, sans volet accompagnement ou transfert des usages.
  • Absence de mesure d’impact ou d’indicateurs précis (nombre de bénéficiaires, progression du taux d’équipement, réduction de la fracture numérique).
  • Projets « solitaires », alors que les instances européennes valorisent la coopération et la reproductibilité.

Retour sur quelques exemples emblématiques

  • Pays de la Loire : Déploiement d’une plateforme de data visualisation territoriale, financée par FEDER (2018-2021). Particularité : gouvernance partagée avec les usagers et publication open source.
  • Communauté d’agglomération du Grand Avignon : Résorption des zones blanches grâce à CEF et à un partenariat public-privé, avec des engagements en faveur de la sobriété énergétique.
  • Projets Interreg : Mutualisation de plateformes e-administration entre collectivités transfrontalières, avec upskilling numérique des agents financé par FSE+.

Ces exemples montrent que l’effet levier des fonds européens dépend autant de la qualité du projet que de sa capacité à faire école.

Tirer pleinement parti du levier européen : nouvelles opportunités et montées en compétence des territoires

À l’heure de la sobriété numérique, de la décentralisation et de la généralisation des démarches en ligne, les financements européens demeurent un levier majeur, mais exigeant. Au-delà de la subvention, c’est tout un écosystème de compétences, de partenariats et de savoir-faire qui se structure sur les territoires, encouragé par l’Union. Pour les collectivités, cela suppose de changer de posture : ne plus penser le financement européen comme un “bonus” ponctuel, mais comme un axe central de la stratégie numérique locale — un facteur de résilience, d’innovation et d’attractivité pour tous les habitants.

Quelques ressources-clé pour aller plus loin :

En savoir plus à ce sujet :

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