Le schéma directeur numérique, colonne vertébrale de la transition locale

En France, 85% des collectivités locales ont engagé un projet de transformation numérique au moins partiel (Observatoire des Usages Numériques des Territoires, 2022). Le schéma directeur numérique (SDN) s’impose désormais comme l’outil stratégique incontournable pour structurer, planifier et piloter cette transition. Mais la pertinence d’un SDN se joue moins dans la rédaction que dans sa capacité à générer des résultats concrets, rendus visibles, mesurables, partageables.

Suivre les bons indicateurs ne relève donc pas simplement de la “bonne gestion”, mais devient un axe stratégique pour s’assurer que la transformation voulue produit les effets attendus : modernisation de l’action publique, amélioration de la qualité de service, maîtrise des coûts, résilience numérique et sobriété environnementale, sans oublier l’inclusion des publics et la participation citoyenne. Encore faut-il choisir les bons indicateurs – ni trop nombreux, ni obscurs, ni hors-sol.

Les grandes familles d’indicateurs pour piloter un schéma directeur numérique

Face à la diversité des actions engagées (infrastructures, outils métiers, services dématérialisés, culture numérique…), il est utile de structurer son tableau de bord autour de grands axes. Les observatoires et guides institutionnels (ANCT, CEREMA, DINUM) préconisent de combiner indicateurs quantitatifs et qualitatifs, en distinguant au minimum :

  • Indicateurs d’avancement : suivent la réalisation effective du plan d’action
  • Indicateurs d’usage : évaluent le recours aux nouveaux services ou outils numériques
  • Indicateurs d’impacts : mesurent l’effet du numérique sur l’organisation, la qualité de service, l’environnement, etc.
  • Indicateurs de satisfaction : recueillent les retours d’expérience des usagers et agents
  • Indicateurs de maturité : permettent de situer la collectivité à l’échelle régionale ou nationale

Prendre le temps de choisir ses indicateurs en fonction des priorités du SDN est crucial : tous ne sont pas pertinents dans tous les contextes, et il s’agit d’éviter l’écueil de la mesure pour la mesure.

Indicateurs d’avancement : un suivi méthodique des actions engagées

Difficile d’évaluer un schéma sans visualiser l’état d’avancement de ses chantiers emblématiques. Ce suivi sert à tenir le cap, prioriser, réagir. Les indicateurs d’avancement classiques s’appuient sur des outils de gestion de projet (Gantt ou Trello) :

  • Proportion d’actions du SDN réalisées (en % du total)
  • Taux de respect des échéances initiales / retards
  • Budget consommé par action vs budget prévisionnel
  • Nombre de prestations ou marchés attribués vs attendus
  • Taux d’équipement (ex. : postes informatiques renouvelés, déploiement de fibre dans les bâtiments publics, etc.)

Ces données doivent être actualisées régulièrement (au moins trimestriellement), non pour contrôler, mais pour piloter et ajuster.

Indicateurs d’usage : capter la réalité du terrain

Un service numérique sans utilisateurs n’a que peu de valeur. Or, dans de nombreux cas, le taux d’usage réel des nouveaux services reste faible : moins de 40% pour la plupart des démarches en ligne dans les petites collectivités en 2023 (Base ANCT).

  • Nombre d’utilisateurs actifs (agents, citoyens, associations, partenaires…)
  • Taux de connexion ou de recours aux nouveaux outils/services
  • Taux de dossiers traités en ligne vs en guichet physique pour les démarches essentielles
  • Évolution mensuelle ou annuelle des usages (pour détecter des tendances, des blocages, ou des effets d’accélération)

L’enjeu est ici double : mesurer l’appropriation, mais aussi identifier précocement les besoins d’accompagnement ou de simplification.

Indicateurs d’impacts : mesurer les transformations induites

Les effets attendus du numérique sur l’organisation et sur le territoire sont au cœur du SDN : efficacité, qualité, inclusion, transition écologique, résilience. Les indicateurs d’impact nécessitent souvent une démarche d’évaluation plus poussée, mais apportent un sens concret à l’action.

  • Temps moyen de traitement des dossiers (avant/après numérisation d’un processus)
  • Taux de satisfaction des usagers (voir plus bas)
  • Pourcentage de services accessibles 24/7
  • Nombre de processus dématérialisés / automatisés
  • Économies budgétaires générées par la dématérialisation (frais de poste, papier, déplacements…)
  • Diminution des émissions de CO2 ou de la consommation énergétique associées à la transformation numérique (voir ADEME)
  • Taux d’accessibilité numérique (notamment pour les usagers en situation de handicap)
  • Part de la population accédant effectivement à un accompagnement numérique adapté
  • Nombre d’actions de sensibilisation et de formation réalisées auprès des agents et des élus

À noter, l’ADEME et l’ANSSI recommandent d’intégrer systématiquement des indicateurs spécifiques pour la sobriété et la sécurité numériques : taux de logiciels à jour, audit sécurité réalisé, gestion des habilitations, etc.

Indicateurs de satisfaction et retour d’expérience : donner la parole aux usagers

La transformation numérique ne se limite pas à l’introduction de technologies innovantes, mais vise aussi à améliorer la relation entre l’administration et ses usagers. Suivre la satisfaction, c’est donc interroger directement les agents, les citoyens ou les entreprises qui interagissent avec les outils mis en place.

  • Taux de satisfaction global lors d’enquêtes périodiques (enquête rapide intégrée à chaque démarche ou enquête annuelle plus approfondie)
  • Taux de réclamation ou de litiges pour chaque service numérisé
  • Analyse qualitative des retours libres (verbatims sur les irritants, les points forts, etc.)
  • Taux de résolution des incidents techniques dans les délais prévus
  • Participation à la co-construction ou aux groupes d’utilisateurs/testeurs

Ce type de suivi gagne à être opéré régulièrement et sur plusieurs canaux (courriels, questionnaires, ateliers physiques…), en cherchant à toucher tous les profils d’usagers, y compris les plus éloignés du numérique.

Indicateurs de maturité numérique : se situer et progresser

La notion de “maturité numérique” désigne la capacité d’une organisation à tirer pleinement parti des technologies, mais aussi à innover, à favoriser l’agilité et à résorber les fractures numériques. Plusieurs référentiels existent en France :

  • Score de maturité ANCT (incluant interopérabilité, pilotage, gouvernance, sécurité).
  • Indice de l’Observatoire DATACTIVIST pour l’ouverture et la valorisation des données publiques (Datactivist 2023).
  • Indicateurs du baromètre Villes Internet (nombre d’étoiles, initiatives labellisées, etc.).

Comparé périodiquement, le score de maturité numérique offre une vision transversale de la progression du territoire, identifie les points de faiblesse ou de force, et permet l’échange de bonnes pratiques avec d’autres acteurs.

Bien choisir les indicateurs : pièges à éviter et bonnes pratiques

  • Ne pas vouloir tout mesurer : Un SDN pertinent se limite à 10 à 20 indicateurs clés, compréhensibles et pilotables.
  • Adapter la granularité : Certains indicateurs peuvent être globaux, d’autres plus ciblés par service ou par public cible.
  • Combiner quantitatif et qualitatif : La donnée chiffrée éclaire mais ne dit pas tout ; l’écoute du terrain reste essentielle.
  • Actualiser et communiquer : Un tableau de bord statique, non partagé, perd vite son utilité. Organiser une veille, publier régulièrement les avancées, valoriser les succès et assumer les retards.
  • Penser à l’interopérabilité : Les indicateurs doivent également faciliter l’échange ou la comparaison avec d’autres collectivités ou les services de l’État.

Des exemples inspirants d’indicateurs issus des territoires

Plusieurs collectivités partagent et publient désormais leurs référentiels d’indicateurs :

  • Département du Val d’Oise : Nombre de collèges raccordés en très haut débit / part de démarches dématérialisées dans les Maisons France Service / taux d’usagers formés au numérique.
  • Ville de Nantes : Part de données ouvertes et mises à jour dans le portail open data municipal / taux de satisfaction pour la plateforme citoyenne nantes.fr / consommation électrique annuelle liée au SI.
  • Région Occitanie : Nombre d’innovations numériques labellisées chaque année / progression des chantiers d’inclusion numérique portés par la Région.

Ces territoires insistent tous sur l’importance de la clarté, de la régularité et du partage des indicateurs. Une action numérique visible par tous est une action qui mobilise et inspire.

Perspectives : vers une culture de la mesure au service de tous

Le pilotage par les indicateurs ne doit pas être vu comme une contrainte administrative supplémentaire, mais comme une opportunité de valoriser l’innovation, d’objectiver l’action publique, et de renforcer la confiance des citoyens. Les référentiels évoluent vers davantage de responsabilité environnementale (cf. “Numérique responsable”, ADEME 2023), et la publication d’indicateurs ouverts pourrait devenir la norme à l’horizon 2030.

Cet effort de mesure participe progressivement à une transformation de la culture publique : les collectivités qui avancent le plus vite sont souvent celles qui investissent dans le partage, la comparaison et le retour d’expérience. Pour rester connectés au terrain, il s’agit bien de piloter non seulement des projets, mais des transformations profondes – et, par ce biais, d’imaginer des modèles plus inclusifs et plus durables pour les territoires.

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