Repères : pourquoi la mutualisation s’impose aujourd’hui ?

La transformation numérique bouleverse la gestion publique locale : dématérialisation, cybersécurité, gestion de la donnée, services en ligne, inclusion numérique… Chaque commune, département ou région est confronté à des défis similaires, avec des moyens souvent limités et des expertises dispersées. Dans ce contexte, la mutualisation des ressources numériques devient une clé d’efficience et d’innovation, tout en facilitant le passage à l’échelle de solutions utiles aux citoyens.

Cette dynamique s’inscrit dans une logique d’action publique partagée, encouragée par l’État et le législateur français depuis les années 2010 (cf. Loi NOTRe, circulaires sur la mutualisation). Elle vise à rationaliser les investissements, à renforcer la sécurité et l’agilité des systèmes d’information, et à libérer du temps pour des projets à plus forte valeur ajoutée. En 2022, selon une enquête de l’AMF, 56 % des intercommunalités pratiquent déjà une forme de mutualisation numérique.

Quels bénéfices concrets pour les collectivités ?

  • Réaliser des économies d’échelle

    Les achats groupés de solutions logicielles, d'équipements ou de services cloud permettent d’accéder à des tarifs plus avantageux. Un exemple : le groupement d’achat public porté par le SIPPEREC, qui a permis à près de 200 collectivités franciliennes de réduire de 20 % en moyenne le coût des réseaux très haut débit (source : SIPPEREC, 2022).

  • Partager des expertises rares et renforcer la montée en compétences

    Recruter (et garder) un DSI, un responsable cybersécurité, voire un data manager relève souvent de la gageure dans les petites agences municipales. Les groupements d’employeurs IT, à l’image du GIP Territoires Numériques Bourgogne-Franche-Comté, proposent une mutualisation RH attractive, permettant de bénéficier d’une expertise de pointe, avec un coût partagé.

  • Gagner en sécurité et en conformité

    Mutualiser l’achat de solutions, c’est aussi s’assurer de standards de sécurité homogènes : audits réguliers, mise à jour coordonnée, politique RGPD alignée. En Bretagne, le dispositif « cybersécurité mutualisée » lancé par le Syndicat Mixte Mégalis protège désormais plus de 2 000 entités publiques contre les rançongiciels et les tentatives de phishing (source : Mégalis Bretagne, 2023).

  • Accéder plus vite à l’innovation

    Les collectivités mutualisent également le développement et l’expérimentation de services : coffre-fort numérique des usagers, solutions de prise de rendez-vous en ligne, guichets d’aide à l'inclusion. Cela renforce leur capacité à innover collectivement, et favorise la capitalisation sur les bonnes pratiques.

  • Favoriser l’inclusion numérique

    Mutualiser, c’est aussi mutualiser les points d’accueil, les médiateurs numériques, et les dispositifs de médiation. La Loire, par exemple, a déployé une plateforme mutualisée d’agenda et de ressources pour ses espaces France Services, rendant visible l’offre d’accompagnement sur tout le département.

De quoi parle-t-on ? Typologie des ressources mutualisables

La mutualisation numérique ne se limite pas à l’achat de serveurs ou à la gestion d'un réseau informatique : elle concerne des ressources, humains comme techniques, des données, des outils et même des démarches.

Ressource Exemples Formes de mutualisation
Systèmes et infrastructures Réseaux mutualisés, datacenters, solutions cloud, plateformes de visioconférence Groupement d’achat, GIP, syndicats mixtes
Solutions logicielles Outils de gestion des délibérations, de portail citoyen, de dématérialisation Licence partagée, co-développement, chantiers open source
Données publiques Observatoires socio-démographiques, cartographie SIG, open data Partage via plateformes ou API, gouvernance commune
Compétences humaines Experts SI, administrateurs systèmes, médiateurs numériques Groupement d'employeurs, mise à disposition partagée, équipe dédiée
Méthodologies et outils Modèles de cahier des charges, référentiels de bonnes pratiques Clubs métiers, plateformes collaboratives, newsletters thématiques

Certaines initiatives s’appuient aussi sur la mutualisation inter-échelles : département, ville, intercommunalité, voire région. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) anime par exemple des groupes de travail entre territoires de toutes tailles sur la mutualisation des plateformes IoT pour la smart city.

Quels sont les freins à la mutualisation numérique ?

  • Hétérogénéité des besoins et des systèmes

    Entre collectivités de tailles, de cultures ou de niveaux de maturité différents, aligner les calendriers et les outils n’a rien d’automatique. Cela suppose d’engager des démarches d’écoute et de co-construction, en phase avec les besoins locaux. Selon un rapport de l’IGF (2021), la standardisation technique des SI reste un défi majeur.

  • Complexité juridique et organisationnelle

    Partager un marché public, créer un groupement, rédiger une convention de mutualisation : la charge administrative est un frein souvent cité. L’État tente de l’alléger avec des modèles de convention (DGCL), mais la crainte de la « dilution » de la gouvernance subsiste, en particulier chez les petites collectivités.

  • Clivages politiques et manque d’impulsion

    La mutualisation engage à long terme et peut questionner la souveraineté ou la spécificité d’un territoire. Son succès dépend d’un pilotage clair, d’une capacité à dépasser la logique de guichet unique, et d’une stratégie assumée d’alliance autour des valeurs de service public local.

  • Formation et adhésion des agents

    Les changements de pratiques (nouveaux outils, nouveaux circuits de décision) doivent s’accompagner de formation et de communication interne. Un chiffre marquant : 39 % des incidents observés dans les projets de mutualisation numérique proviennent d’une insuffisante conduite du changement, selon le baromètre National des Intercommunalités 2023 (France Urbaine).

Comment réussir sa stratégie de mutualisation numérique ? Les étapes clés

  1. Établir un diagnostic partagé

    Cartographier les besoins, identifier les points communs, mais aussi les spécificités, répondre à la question : « quelles ressources gagneraient vraiment à être mutualisées ? ». Des outils comme les diagnostics flash proposés par la Banque des Territoires aident à cette première étape.

  2. Mettre en place une gouvernance claire et évolutive

    Définir les instances de décision, les modalités de financement, la répartition des charges et bénéfices : GIP, syndicat mixte, CIP, groupement d’employeurs ou simple convention. Un exemple inspirant : le GIP OTELO, qui regroupe 13 communautés de communes et optimise à la fois l’assistance technique et la stratégie SI.

  3. Assurer l’interopérabilité et la sécurité

    L’objectif n’est pas seulement d’acheter ensemble, mais aussi d’assurer que les systèmes communiquent, que les référentiels sont partagés (authentification, gestion des identités, échanges de données). L’Agence Nationale de la Sécurité des SI (ANSSI) propose des guides pour aider à cet alignement.

  4. Accompagner le changement

    Prévoir des temps de formation, des espaces de dialogue, un support de proximité. L’implication des agents et des élus, dès la phase amont, est décisive pour éviter résistances et incompréhensions.

  5. Mesurer et valoriser les impacts

    Définir quelques indicateurs concrets : économies réalisées, taux d’utilisation de la solution mutualisée, satisfaction des usagers, nombre de projets co-développés... Rendre visibles ces résultats favorise la pérennisation et l’adhésion.

Zoom sur quelques initiatives inspirantes

  • La plateforme Territoires Numériques Libres (initiée par Adullact) : propose un catalogue d’outils open source mutualisés, adaptés aux besoins des collectivités et des établissements publics locaux. Plus de 1 000 collectivités utilisent déjà au moins un de ces services (source : Adullact, 2023).
  • Les réseaux départementaux de médiation numérique : en Nouvelle-Aquitaine, près de 120 structures (collectivités, associations, bibliothèques) partagent médiateurs, ateliers, outils et agendas via les hubs départementaux.
  • Le cadre commun pour la gestion des données ouvertes (OpenData France) : permet à des dizaines de collectivités d’utiliser des standards partagés pour publier les jeux de données, facilitant la réutilisation par les citoyens et les entreprises.
  • Mégalis Bretagne : au-delà de la cybersécurité, ce syndicat mixte propose une plateforme mutualisée pour la gestion des marchés publics, profitant à plus de 2 600 entités.

Vers une maturité accrue : l’avenir de la mutualisation numérique territoriale

Les récentes cyberattaques et la multiplication des besoins numériques accélèrent la prise de conscience autour de la mutualisation. Mais aucune solution unique ne s’impose. Entre catalogue complet (à la mode « digital factory ») et logique de projets ciblés, chaque territoire invente son modèle. Une tendance forte se dessine toutefois : l’ouverture et le partage de ressources ne s’arrêtent pas à la technique. Ce sont aussi et surtout de nouvelles façons de travailler : plus collaboratives, centrées sur l’intérêt général, et capables d’accueillir la diversité des usages et des contextes locaux.

Avec l’essor des alliances inter-territoriales, l’enjeu n’est plus seulement d’optimiser le coût, mais de consolider une souveraineté numérique collective. La réussite passera par la confiance, la transparence et une capacité à co-innover, dans le respect des valeurs du service public.

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