Pourquoi les partenariats sont-ils devenus un critère clé des appels à projets numériques ?

La plupart des appels à projets numériques lancés par l’État, les Régions, ou l’Europe affichent un constat commun : ils valorisent fortement les dossiers construits autour de partenariats sérieux, variés et cohérents. D’après l’Observatoire France Num, 82% des projets soutenus dans le cadre des dispositifs nationaux 2022-2023 intégraient au moins un partenariat formalisé (France Num). Au-delà de la dynamique collaborative, les partenaires constituent un gage de crédibilité, de mutualisation des moyens et de pérennité attendue par les financeurs.

Dans un contexte où la transformation numérique s’accélère mais reste inégale sur le territoire, le partenariat n’est plus accessoire : il conditionne souvent la réussite opérationnelle et le passage à l’échelle. Les appels à projets visent à faire sortir les initiatives du “petit périmètre” – à ouvrir les démarches, à fédérer, et à tester en conditions réelles tout en limitant les risques.

Typologie des partenariats à valoriser dans un dossier

La notion de partenariat recouvre une grande diversité d’acteurs et de formes d’engagement. Voici une typologie synthétique, à articuler selon la finalité du projet :

  • Partenaires institutionnels : collectivités territoriales (communes, EPCI, départements, Régions), établissements publics, opérateurs de l’État (comme l’Agence nationale de la cohésion des territoires).
  • Acteurs économiques : entreprises du numérique local, start-up, PME, acteurs de filières (bâtiment, agritech, tourisme…)
  • Structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) : associations, coopératives, structures d’insertion, tiers-lieux… Elles sont incontournables dans les secteurs de l’inclusion numérique, de la médiation ou du service aux populations fragiles.
  • Partenaires académiques : universités, écoles, pôles de recherche qui apportent leur expertise et favorisent des démarches de recherche-action ou de transfert de compétences (thèses, stages, expertises ponctuelles…)
  • Citoyens et collectifs informels : groupes d’usagers, communautés locales, conseils citoyens : leur implication est fréquemment demandée dans les projets de civic tech, de données ouvertes ou de participation numérique.

La Fédération des tiers-lieux rappelle ainsi que 47% des projets lauréats aux AAP Région Grand Est intégraient à la fois une collectivité, un tiers-lieu et une association d’usagers sur la période 2020-2022 (Fédération nationale des Tiers-Lieux).

Quels partenariats pour quels objectifs ?

Pour convaincre une commission d’attribution, le partenariat doit être pensé en fonction de la plus-value stratégique apportée au projet. Quelques exemples concrets :

  • Aller plus loin dans l’inclusion numérique : nouer avec une association locale d’aide sociale ou un centre social pour tester des dispositifs d’accompagnement, comme l’ont fait plusieurs porteurs de l’appel “France Services Connectées”.
  • Optimiser la collecte de données publiques : s’associer avec une université pour co-construire les outils d’analyse, former les agents à la datavisualisation et garantir la conformité aux normes RGPD (source : CNIL).
  • Créer une chaîne de valeur locale : associer des TPE/PME et la CCI pour améliorer le déploiement de solutions numériques dans l’économie de proximité (ex : “Rebond numérique” Bretagne, 2021).
  • Garantir l’interopérabilité ou la mutualisation de plateformes : mutualiser les besoins et les compétences entre intercommunalités, afin de ne pas reproduire un énième “outil isolé”. C’est l’approche retenue par le département de la Haute-Garonne pour la plateforme “e-monsite collectivités”.

La force des partenariats “hybrides”

Un constat se dégage : la diversité des profils et la complémentarité des partenaires rassurent le jury et évitent l’effet “usine à gaz” ou monopole d’expertises. Les consortia qui mélangent collectivités, entreprises, acteurs associatifs et citoyens maximisent leurs chances, selon l’analyse de la DGE sur les AAP “Territoires intelligents” (2023).

Quelques exemples parmi les plus structurants :

  • Tiers-lieux + Collectivités : une démarche efficace pour accélérer le maillage territorial et la médiation numérique. Exemple : le dispositif “Fabriques de territoire” déployé sur plus de 350 sites, selon l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
  • Grands groupes + TPE innovantes + Régions : la Région Occitanie a monté plusieurs consortiums sur l’open data et l’intelligence artificielle avec des PME locales et des laboratoires pour accélérer leurs phases d’expérimentation et de scaling.
  • Mairies + collectifs d’habitants : pour la création de plateformes de participation citoyenne ; la Ville de Paris a multiplié ce type de partenariat pour chaque itération de sa plateforme “Idée.paris.fr”.

Seule limite : attention à ne pas multiplier artificiellement les acteurs sans cohérence, ce qui complexifie la gouvernance et dilue l’impact (Agence nationale de la cohésion des territoires).

Ce que les financeurs veulent voir concrètement dans les dossiers

  • Des conventions ou lettres d’engagement, explicites sur le rôle de chaque structure.
  • Une gouvernance précisée : répartition des responsabilités, du pilotage opérationnel au reporting.
  • Des apports précis : financier, humain, technique ou logistique.
  • Des modalités d’évaluation partagées : comment chaque partenaire contribue-t-il au suivi du projet ?
  • Une logique de transfert ou de capitalisation : partage du retour d’expérience, accessibilité des résultats à d’autres territoires, perspective de réplicabilité.

D’après le rapport de Terra Nova, 7 dossiers sur 10 sont recalés en phase de présélection faute d’une présentation suffisamment détaillée du consortium (Terra Nova, 2023).

À retenir : le niveau d’implication, la cohérence et la capacité à travailler ensemble comptent plus que la simple accumulation d’acteurs.

Bonnes pratiques pour bâtir un consortium solide

  1. Impliquer tôt : Ne pas attendre l’élaboration du dossier pour engager le dialogue. Les financeurs repèrent aisément les partenariats “de façade”.
  2. Chercher la complémentarité : Privilégier la diversité d’acteurs, sans sacrifier la clarté de la gouvernance : chaque partenaire doit “porter” un axe clé du projet.
  3. Miser sur la coopération ouverte : Capitaliser sur les réseaux existants (Réseau National des Centres de Ressources, clusters numériques, réseaux associatifs) pour bénéficier de l’effet “accélérateur”.
  4. Définir un plan de communication commun : L’expérience du fonds “France Relance” démontre que les consortiums dotés d’outils de reporting collaboratifs et d’une charte éditoriale ont plus de facilité à pérenniser et à valoriser leur action pour d’autres concours ou subventions (source : Mission Société Numérique).
  5. Anticiper l’après-projet : Préparer dès le montage dossier la phase de capitalisation, mutualisation des résultats, voire évolution du consortium (extension à d’autres territoires ou à de nouveaux services).

Les écueils à éviter absolument

  • Sous-dimensionner l’engagement partenaires : un partenaire mentionné juste pour la forme, sans enveloppe financière prévue, sape la crédibilité du projet.
  • Oublier les questions de données ou de RGPD : lorsque le sujet touche à de la donnée personnelle ou à des services dématérialisés sensibles, l’absence d’un partenaire maîtrisant la protection des données est un handicap sévère (voir les recommandations de la CNIL).
  • Passer à côté de l’ancrage local : le projet doit démontrer qu’il a été co-construit ou appuyé par les acteurs territoriaux et ne pas donner l’impression d’une solution “standard” parachutée.
  • Complexifier la gouvernance : il existe un seuil critique au-delà duquel trop d’acteurs ralentit la prise de décision et dilue la responsabilité.
  • Ignorer les bénéficiaires finaux : leur participation, ne serait-ce qu’à travers des ateliers, pilotes ou retours terrain, est très souvent valorisée par les comités de sélection.

Zoom : l’exemple du “Pass Numérique”

Lancée en 2019, l’initiative nationale du “Pass Numérique” illustre la puissance d’un écosystème partenarial bien structuré :

  • Le financement porté par l’État et la Banque des Territoires,
  • une diffusion en réseau via 500 structures locales (centres sociaux, mairies, associations),
  • une animation nationale par la Mednum,
  • et des relais opérationnels dans la quasi-totalité des départements (source : Banque des Territoires).

Verdict : plus de 400 000 Pass distribués en trois ans auprès de différents publics. Ce succès s’explique avant tout par la capacité à fédérer des partenaires variés, chacun porteur de compétences ou de contacts difficiles à réunir hors consortium.

Les nouvelles tendances du partenariat numérique territorial

  • Innovation ouverte et hackathons territoriaux : la coopération entre collectivités, universités et start-up pour prototyper rapidement et ouvrir le process à de nouveaux entrants (ex : “Innov’up” Île-de-France).
  • Groupements de collectivités pour mutualiser l’achat ou la gestion de données, souvent pour peser face aux grands éditeurs (ex : GIP Territoires Numériques Occitanie).
  • L’émergence de consortiums franco-européens sur l'IA ou la cybersécurité, appuyés par la Commission européenne dans le cadre du programme Digital Europe (voir le site Digital Strategy EU).

Pour rester à la page, il est utile de suivre les travaux des hubs France Numérique, des pôles d’excellence labellisés par BPI France ou encore le panorama annuel du Think Tank “La Villa Numeris”.

Perspectives : vers des partenariats toujours plus agiles et structurants

Les expériences menées sur le terrain, en France comme en Europe, montrent à quel point la force d’un dossier d’appel à projets numérique repose sur la solidité, la diversité, mais aussi la capacité d’innovation de ses partenariats. Pour convaincre, il ne suffit plus d’empiler les signatures : il faut démontrer un socle de collaboration effective, penser en logique d’écosystème, et construire des alliances prêtes à s’adapter. C’est cette agilité qui fera la différence dans la compétition croissante pour les financements et les moyens d’action.

Capitaliser sur ces nouvelles alliances, c’est aussi renforcer la résilience, l’impact local, et la capacité à faire émerger du commun numérique profitable à tous les territoires.

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