Cimenter la stratégie numérique : que recouvre un schéma directeur SI ?

Un schéma directeur des systèmes d’information (SDSI) est un plan stratégique qui structure, sur plusieurs années, la politique numérique d’une collectivité. Il poursuit trois missions fondamentales :

  • Poser une vision partagée : formaliser les ambitions numériques, en lien avec les politiques publiques portées par l’exécutif local.
  • Structurer l’action : organiser les priorités d’investissement, de ressources et de projets sur 3 à 5 ans.
  • Garantir la cohérence : offrir un cadre commun, pour éviter l’empilement d’outils “bout de ficelle”, gagner en interopérabilité et cyber-sécurité.

Selon l’Observatoire du numérique des territoires (Banque des Territoires, 2022), 65% des conseils départementaux étaient dotés d’un tel schéma, et plus de la moitié des intercommunalités de plus de 50 000 habitants en avaient engagé l’élaboration. La tendance est à la généralisation.

Schéma directeur SI et schéma directeur numérique : deux concepts à articuler

Attention aux confusions de vocabulaire, fréquentes même au sein des élus et agents ! Deux notions proches coexistent :

  • Le schéma directeur des systèmes d’information : il structure la gestion technique (outils, logiciels, sécurité, infrastructures), en lien avec les besoins métiers.
  • Le schéma directeur numérique (SDN) : il aborde l’ensemble des enjeux numériques, y compris l’inclusion, la formation, les nouveaux usages, la relation usager, la médiation ou les données ouvertes. Il inclut le SI mais va au-delà.

Ainsi, un schéma directeur SI est souvent une première étape, plus technique et structurante. Il peut s’intégrer à une politique numérique dont le schéma directeur numérique fixera le cap global.

Les grands axes d’un schéma directeur territorial : quels sujets pour demain ?

Chaque territoire doit adapter le contenu à ses priorités. Toutefois, l’analyse des schémas directeurs de grandes collectivités françaises (Paris, Rennes Métropole, Saint-Étienne Métropole, etc.) fait ressortir des axes récurrents :

  • Modernisation des infrastructures : renouvellement du parc informatique, réseaux sécurisés, gestion du cloud, mutualisation des datacenters.
  • Développement des services en ligne : téléservices, démarches dématérialisées (état-civil, urbanisme, subventions).
  • Gestion et valorisation de la donnée : mise en place de plateformes open data, gouvernance des données, RGPD, data visualisation pour piloter l’action publique.
  • Sécurité informatique et résilience : plans de continuité d’activité, gestion proactive des cyber-risques (la DGSI notait en 2023 que 35% des attaques ciblant des entités publiques visaient précisément les collectivités).
  • Aide à la décision et outils collaboratifs : développement de solutions de type SIG, ERP, outils de gestion de projet transversaux.
  • Montée en compétence, acculturation et inclusion numérique : plans de formation interne, accompagnement des agents/citoyens éloignés du numérique.

Certains schémas directeurs intègrent aussi la sobriété numérique (éco-conception, matériel reconditionné) ou la gestion éthique de l’IA.

Construire un schéma directeur cohérent et partagé

Un des pièges majeurs est de réaliser le schéma en chambre, dans un cercle restreint DSI/Direction générale. Les territoires pionniers privilégient aujourd’hui la co-construction :

  • Phase de diagnostic : cartographier l’existant à travers des ateliers métiers, des questionnaires ouverts, des entretiens qualitatifs avec les agents, élus et partenaires. Selon un rapport du CNFPT (2021), 80% des schémas réussis ont mobilisé plus de 10 directions métiers dès l’audit initial.
  • Scénarisation des évolutions : basées sur les besoins identifiés et la capacité de chaque service à s’adapter.
  • Comité de pilotage élargi : intégrer des représentants de chaque direction “métier” (Education, Solidarité, Urbanisme…).
  • Communication continue : comptes-rendus partagés, restitutions intermédiaires, mobilisation d’intranets ou d’ateliers participatifs.

La réussite du schéma passe par l’implication des directions métiers : elles seules connaissent les attentes des usagers, contraintes opérationnelles, et leviers d’innovation sectorielle.

Les rôles clés de l’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) dans la démarche

L’AMO joue un rôle structurant, en particulier dans les collectivités modestes ou dont l’équipe SI est concentrée sur l’exploitation courante. Son intervention peut recouvrir :

  • Audit indépendant : cartographie de l’existant et benchmark avec d’autres collectivités.
  • Animation d’ateliers de concertation pour favoriser la transversalité.
  • Rédaction claire des livrables : articulation entre vision stratégique et plan opérationnel.
  • Montage financier et priorisation : chiffrage, identification des financements croisés, arbitrage sur le calendrier.

Un AMO peut aussi jouer un rôle d’expert tiers, essentiel pour rassurer services, élus et partenaires que le processus n’est pas guidé par des réflexes purement informatiques, mais par les attentes des politiques publiques et des citoyens.

Aligner le schéma directeur sur les objectifs politiques du mandat : un enjeu démocratique

La stratégie numérique doit être totalement alignée avec les ambitions politiques du conseil municipal, départemental ou régional. Cela implique :

  • Traduire les engagements électoraux : si la majorité prône la proximité, l’accès simplifié aux démarches en ligne et l’inclusion numérique figurent dans les priorités.
  • Rendre visible l’impact auprès des citoyens : reporting régulier sur les nouveaux services, la réduction de la fracture numérique, la sécurité de leurs données.
  • Assurer la réversibilité : chaque schéma directeur doit aussi intégrer des clauses permettant aux générations futures de l’infléchir, selon les nouvelles orientations politiques (source : Guide de l’ANSSI – La gouvernance des systèmes d’information dans les collectivités locales, 2022).

Evaluer et piloter la transformation : quels indicateurs suivre ?

L’efficacité du schéma directeur doit se mesurer dans la durée. Plusieurs familles d’indicateurs robustes émergent :

  • Indicateurs d’usage : taux d’utilisation des démarches en ligne, nombre de comptes citoyens, part des agents accédant régulièrement à l’intranet/un SIRH.
  • Indicateurs de performance : coût global des SI rapporté au budget, nombre d’incidents majeurs traités sous 48h, taux de disponibilité des applications clefs.
  • Indicateurs de sécurité : temps moyen de traitement d’une attaque, conformité aux standards (ISO, ANSSI), taux de couverture des formations cybersécurité agents/élus.
  • Indicateurs d’impact social : part des agents/citoyens formés à de nouveaux outils, réduction mesurée de la fracture numérique, satisfaction des usagers dans les baromètres annuels rendus publics.

Un tableau de pilotage actualisé est essentiel. Il doit être discuté en comité de pilotage multipartite, pour ajuster les priorités si besoin.

La durée de vie utile d’un schéma directeur : entre vision et agilité

L’accélération du cycle d’innovation numérique (objets connectés, IA générative, plateformes citoyennes temps réel…) impose de calibrer la durée de validité du schéma directeur. La plupart des schémas optent pour un horizon de 3 à 5 ans : c’est l’échelle retenue par la Métropole Rennes (2019-2023), la Région Nouvelle-Aquitaine (2018-2022), ou encore Lyon. Mais ils prévoient chaque année :

  • Une revue à mi-parcours avec adaptation du plan d’action aux nouveaux besoins/usages.
  • Une refonte partielle si des ruptures technologiques majeures interviennent (cf. généralisation du télétravail ou cyberattaques récentes).

L’enjeu : maintenir une boussole commune sans figer l’innovation. D’où l’intérêt de créer dès l’origine une gouvernance de suivi (copil numérique, cellules “Innovation transverse”, etc.).

Actualiser le schéma directeur : méthode et vigilance

Un schéma directeur n’est pas un document “figé sous verre” :

  1. Veille permanente sur les évolutions réglementaires (Protection des données, accessibilité, Interopérabilité) et les opportunités de financement (Plan de relance, fonds européens).
  2. Retours d’expérience internes (nombre d’incidents, satisfaction utilisateurs, rythme de déploiement).
  3. Ouverture à l’écosystème local : relations avec les acteurs du territoire, start-ups locales, écoles ou associations (l'open innovation).
  4. Ajustements agiles sur la priorisation des projets et le pilotage budgétaire.

Le danger principal : perdre le fil de la stratégie, faute d’actualisations régulières ou de retours des équipes terrain. Les schémas vivants intègrent un “retour terrain” lors de chaque grand projet.

Les écueils fréquents à éviter lors de l'élaboration d’un schéma directeur

Plusieurs erreurs sont récurrentes selon la littérature professionnelle (SIGMAG, CNFPT, Banque des Territoires) :

  • Se limiter à un recensement technique sans vision d’usages ou d’impact.
  • Exclure les directions métiers du processus, réduisant l’adhésion et la pertinence des choix.
  • Sous-estimer la conduite du changement : former les agents, accompagner la montée en compétence et la transformation des processus.
  • Vouloir tout traiter en même temps, sans hiérarchisation pragmatique des chantiers.
  • Oublier l’interopérabilité, au risque de multiplier les “silos numériques incommunicants”.

L’observatoire des cybermenaces (ANSSI, 2023) rappelle également l’enjeu majeur de la sécurité dès la conception, pour éviter les attaques qui peuvent coûter plus de 100 000 € à une collectivité moyenne.

À retenir… et à partager

Au croisement de la technique, de l’innovation publique et des usages citoyens, le schéma directeur SI n’est ni un luxe, ni une formalité administrative. Il est l’outil structurant qui permet de choisir, d’anticiper, de dialoguer – et de donner aux décisions numériques la légitimité du collectif. Appuyées sur des diagnostics partagés, intégrant les directions métiers et portées par une gouvernance solide, les stratégies numériques éclairées font toute la différence pour engager résolument les territoires vers l’efficacité, la résilience et la proximité. Plus que jamais, la réussite d’un territoire connecté passe par une planification intelligente… et vivante.

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